4 Février 2009 : l'Alsace

Momix, rencontre avec un éditeur de théâtre

O Eaux, une réflexion sur le déséquilibre Nord-Sud et la résistance collective… Ou quand le théâtre nous fait grandir. Photo Darek Szuster

Le festival Momix se poursuit à Kingersheim jusqu’au 8 février. Les salles sont pleines, de quoi réjouir tous ceux qui pensent que la culture est une grande aventure à partager. Parmi eux, l’éditeur Émile Lansman qui depuis près de quarante ans, œuvre sur tous les fronts pour faire aimer le théâtre. Sa maison d’édition créée en 1989 compte près de 700 références. Un catalogue impressionnant, 33 collections différentes, qui chacune répond à un besoin, une idée, une initiative pour favoriser la création. Pour promouvoir l’écriture théâtrale, il faut aussi accompagner les textes, multiplier les projets, susciter la création. Émile Lansman est expert en la matière. Momix vous invite tout au long de la semaine à de nouvelles découvertes. Pour « prendre le risque du plaisir théâtral ensemble et en sortir grandi »…



Momix Émile Lansman, éditeur-passeur de théâtre

Émile Lansman a édité notamment Tête à claques, pièce présentée en ouverture et le théâtre de Marcel Cremer ( Deux ennemis inséparables, La Femme corbeau …) Photo Darek Szuster

Le festival Momix accueille régulièrement l’éditeur Émile Lansman, qui depuis près de quarante ans, œuvre sur tous les fronts pour faire aimer l’écriture théâtrale. Rencontre.

Pouvez-vous nous donner les éléments clés de votre parcours ?

Je suis instituteur de formation. J’ai enseigné pendant quinze ans, mais j’ai toujours eu une double vie, avec une activité culturelle dans des mouvements de jeunesse. L’une de mes principales préoccupations a toujours été de créer des passerelles avec la lecture, le théâtre et le cinéma… Très tôt, je me suis intéressé à la littérature jeunesse et au théâtre jeune public. On était au lendemain de 68, il y avait une énergie nouvelle, en particulier en Belgique.J’ai aussi été adjoint à la culture à Carnières, une ville à 60 km au sud de Bruxelles. Et chez nous, les adjoints ont une grande liberté pour prendre toute sorte d’initiatives. Je me suis formé aussi à la psychopédagogie, j’ai enseigné à l’école normale. En 1985, c’est la rupture, je décide d’entrer entièrement en théâtre. Je deviens alors responsable de l’association Promotion Théâtre qui a pour mission de pousser la jeunesse à pratiquer le théâtre, en partant du principe qu’un jeune qui passe par la scène sera un spectateur plus motivé et plus critique.

Comment est née votre maison d’édition ?


En 1988, on a lancé un appel aux auteurs pour qu’ils écrivent des textes théâtraux susceptibles d’être joués par des jeunes. En trois mois et dans une communauté où on dit qu’elle n’a pas d’auteurs, on recueille 97 textes… On crée la maison Lansman Édition avec ma femme en 1989, avec l’idée d’éditer deux auteurs belges par an. On va publier 100 titres en cinq ans, 200 en huit ans et aujourd’hui, on a 685 références au catalogue…Mais éditer du théâtre jeune public n’a de sens que si on développe parallèlement des projets. Et c’est grâce à tous ces projets que les livres circulent. Par exemple, on a créé une collection « La scène aux ados » qui rassemble des textes à jouer par des jeunes, mais on a aussi lancé le prix Sony Labou Tansi, prix des lycéens qui choisissent chaque année un lauréat parmi les auteurs de théâtre pour la jeunesse.

Éditeur de théâtre, ce n’est pas être dans un bureau


On a de multiples partenariats avec des compagnies, on organise des tournées d’auteurs dans les classes… Il y a trois ans, on a créé une collection « Lansman jeunesse » qui réunit des pièces originales à lire dès l’école primaire…On a commencé aussi à travailler en numérique, pour faire de l’édition à la carte, répondre aux besoins spécifiques d’une école, accompagner la création d’un spectacle… Je suis aussi beaucoup sur terrain, j’ai la chance d’avoir plusieurs casquettes. Éditeur de théâtre, ce n’est pas être dans un bureau. Il y a eu aussi dans l’histoire de la maison un événement qui a compté, le prix Nobel de littérature attribué en 2000 à l’écrivain chinois Gao Xingjian. Nous avions été les premiers à l’éditer en français.

Pourquoi avez-vous choisi ce métier difficile ? Quel est votre moteur ?

J’ai l’impression d’aider à donner écho à des paroles d’hommes et de femmes qui ont des choses à dire et à raconter. Parce qu’elles les ont vécues ou vécues par procuration et qu’elles ne peuvent pas se taire quand elles ouvrent leur fenêtre sur le monde…Le contenu est très important et la manière de raconter aussi. Des auteurs qui captent l’attention à travers les histoires qu’ils racontent, les émotions qu’ils suscitent… C’est un capital à transmettre.Un jour, on m’a dit, dans vos publications, il y a beaucoup de « paumés pathétiques », des gens qui ont perdu le fil de leur propre histoire, leurs repères… Mais qui, la plupart du temps, mettent une énergie dans leur survie qui leur permet de surmonter les difficultés. Cela correspond globalement à une grande tendance des textes que je valorise ; je repense à un auteur, Petro Pizzati, qui dans un livre, La Résistante, résume cette idée. Comment puis-je me taire devant tout ce que j’apprends sur le monde d’aujourd’hui ? Mais aussi, quelle est ma légitimité pour parler de tout cela ?

Le regard des poètes engagés est essentiel


Je n’édite pas des livres « militants » mais des livres qui mettent à plat la vie, la mort, la souffrance, l’injustice… On peut parler de tout cela de façon très ludique. Et comme je suis le premier lecteur, ce qui compte, c’est le plaisir.Je pense que le théâtre, comme la littérature, garde toute son urgence, qu’il peut avoir une influence sur les vies, amener des gens à avoir un regard différent sur le monde que celui qu’on peut avoir à travers les médias. Le regard de poètes engagés est essentiel.Assister à une pièce en famille ou avec des amis est aussi essentiel, c’est prendre le risque du plaisir théâtral ensemble et en sortir grandi.

Propos recueillispar Frédérique
Meichler




Le ping-pong comme la vie

Les deux ennemis inséparables à Tival dimanche. Photo Darek Szuster

Dimanche en fin d’après-midi, l’Espace Tival a fait le plein pour le spectacle de Marcel Cremer Deux ennemis inséparables. L’Agora théâtre est une compagnie fidèle à Momix. À l’entrée de la salle, les deux personnages principaux, « Tino » et « Dino », en tenue sportive, distribuent aux spectateurs des petites images à leur effigie, flanquées d’un autographe. Sur la scène, une table de ping-pong et une partie qui va se jouer en direct, tout au long du spectacle.L’arbitre est une femme en noir, sorte de reine de la nuit glaciale qui distribue sèchement les points, accompagne les émotions de sa voix de diva ou du crissement de l’archet sur les cordes de son violon. Dino et Tino, amis et ennemis à la vie comme à la mort, mesurent leurs forces, se montent la tête, se brouillent et se rabibochent. Chaque manche du match traduit l’état d’âme de l’un et de l’autre. Espoir, connivence, lâcheté, colère… Les mots et les balles volent avec le même impact, implacable. La mise en scène file la métaphore jusqu’au moment final où les deux protagonistes lancent un dernier défi à ceux qui les regardent, ces gens, tout en bas, au pied de l’immeuble, mais aussi les spectateurs dans la salle.On peut trouver la partie éprouvante. On ne peut nier l’efficacité dramatique du langage.

F
.M.

© L'alsace, Mercredi le 04 Février 2009
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